Les premières familles anglo-canadiennes issues des alliances mixtes au Québec 1760-1780

Oct 29, 2024 | Histoire

Marcel Fournier

Les premières familles anglos-canadiennes
issues des mariages mixtes au Québec
1760-1780

Présentation

Ce projet consiste à réaliser une importante recherche sur les mariages mixtes inter-ethniques et inter-religieux célébrés au Québec entre les années 1760 et 1780. Ce sujet n’a pas fait l’objet de beaucoup de recherches à ce jour, à part les études d’Édouard-Zotique Massicotte (BRH, 1915), Marcel Trudel (RHAF, 1953) et Karine Pépin (Mémoire soutenu à l’Université de Sherbrooke, 2016). Cette recherche sera axée sur les mariages interethniques et interreligieux des migrants anglophones arrivés et mariés au Canada après la Conquête de 1760.

Le contexte historique

Cette recherche couvre les premières années du Régime anglais, qui s’étend de 1760 à 1780. Celui-ci précède l’établissement au Canada de milliers de soldats des troupes allemandes et britanniques qui viennent combattre les Américains lors de la guerre d’Indépendance. En examinant uniquement les vingt premières années du Régime anglais, on écarte d’emblée les unions mixtes entre les enfants des premiers pionniers anglophones et ceux des germanophones avec des Canadiens ou des Canadiennes qui se sont considérablement accrues après 1780.

Les corpus

Les informations nominatives seront tirées de la base de données personnelle de Marcel Fournier qui comprend plus de 14 500 pionniers et pionnières établis au Québec entre 1617 et 1825. Pour cette étude, une extraction a été faite des mariages mixtes de 329 individus soit 318 hommes et seulement 11 femmes. Entre 1760 et 1780, les prêtres catholiques ont célébré 106 mariages mixtes entre individus anglophones et des Canadiens et Canadiennes, tandis que les pasteurs protestants ont célébré 223 mariages entre des hommes originaires des pays anglophones et des Canadiennes. En plus de la base de données, de nombreuses sources complémentaires dont le livre Les Européens au Canada des origines à 1765 (Hors France)1 , seront consultées par les auteurs pour la rédaction de la partie historique et de la partie biographique.

La publication

La recherche entreprise en janvier 2019 sera complétée au printemps 2021 pour la partie biographique et la réalisation des données statistiques. Il y aura deux éditions du livre, une version papier et une version numérique, qui sera diffusées par la Société de recherche Archiv-Histo de Montréal des le mois de juin 2021.

Marcel Fournier, AIG
Directeur du projet
mai 2021

La période 1760-1780

La guerre de Sept Ans a amené sur les rives du fleuve Saint-Laurent en 1759 et 1760 des milliers de soldats britanniques pour combattre les troupes françaises en Amérique. Ces militaires sont d’origine diverse car on y retrouve des Anglais, des Écossais, des Irlandais, des natifs de la Nouvelle-Angleterre, des Européens alliés aux Britanniques et quelques-uns des îles anglo-normandes. En septembre 1760, au lendemain de la capitulation de la Nouvelle-France, un régime militaire est instauré en attendant la fin des négociations entre Britanniques et Français sur l’avenir du Canada. En raison de cette situation conjoncturelle, plusieurs soldats britanniques séjournent ou s’établissent dans la colonie pour assurer le maintien de la paix.

Dès octobre 1760, les premiers civils britanniques arrivent au Canada pour administrer le pays et faire du commerce. Parmi ceux-ci, on retrouve un bon nombre d’individus en provenance des colonies de la Nouvelle-Angleterre qui voient en la Conquête de grandes opportunités dans le négoce qui dorénavant se fera avec les colonies américaines et la Grande-Bretagne. Entre 1760 et 1763, les Anglais qui s’établissent au pays le font par bail de location puisqu’aucune acquisition de propriété ne peut être envisagée avant que le sort de la Nouvelle-France ne soit réglé2. À compter de 1763, plusieurs officiers d’origine britannique acquièrent des habitations et des seigneuries délaissées par les Français tandis que d’autres s’en font concéder par le gouverneur James Murray.

À Montréal, en 1760, le pasteur John Ogilvie devient le premier ministre de l’Église d’Angleterre à œuvrer au Québec. Comme il n’existait pas d’église anglicane à Montréal, Ogilvie célébrait les offices dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu. Il a officié à plusieurs mariages entre 1760 et 1766 dont ceux des frères Samuel et Francis McKay, deux officiers de l’armée britannique qui épousèrent des Canadiennes. À Québec, entre 1760 et 1768, c’est le pasteur John Brooke qui célébrait les offices religieux dans la chapelle des Récollets dont quelques mariages mixtes au grand dam de l’Église catholique qui s’insurgeait contre ces unions. Entre 1760 et 1766, on rapporte 116 mariages mixtes dont 57 mariages célébrés par des aumôniers militaires qui accompagnaient les troupes anglaises et qui ne sont pas inscrit dans les registres de l’état civil protestants.

Pour la période subséquente, soit celle de 1766 à 1780, les registres protestants de Montréal (1766), Québec (1768), Trois-Rivières (1768) et Sorel (1775) contiennent les enregistrements de mariages de 157 protestants anglophones dont quelques mariages célébrés par des aumôniers militaires. Les mariages mixtes, dénoncés tant par l’Église catholique que par l’Église protestante, sont tout de même contractés devant des prêtres catholiques et des pasteurs protestants. Entre les années 1760 et 1780, 329 unions avec des Canadiens mais surtout avec des Canadiennes ont été enregistrées dont 223 devant un pasteur protestant et 106 devant un prêtre catholique.

Le tableau ci-dessus comptabilise 329 mariages. Les mariages entre catholiques et anglophones concernent surtout des Écossais et des Irlandais qui épousent des Canadiennes dans une proportion de 75 %.

Quant aux données provisoires concernant les origines des 329 migrants ayant contracté des mariages mixtes au Québec entre 1760 et 1780, ils proviennent des contrées suivantes : Angleterre : 38, Écosse : 67, Irlande, 48, Pays-de-Galles : 2, États-Unis : 13, îles britanniques : 140 et autres pays alliés aux britannique : 21.

1. Abbott, Edward, est né vers 1740 en Angleterre. Il arrive à Détroit en Amérique vers 1762 comme lieutenant du Royal Artilleries dans les troupes britanniques. Vers 1765, il épouse à Détroit ou à Montréal devant un aumônier militaire anglican, Angélique Trottier dit Desrivières, née à Montréal en 1731, fille de Julien et de Louise-Catherine Rimbault. Le 9 novembre 1766, leur fils Édouard-Thomas est baptisé à l’église Notre-Dame-de-Montréal. Abbott décède avant 1767 puisque sa femme épouse en secondes noces Thomas Donohue (voir ce nom) à Montréal le 2 juin 1767. Famille établie à Montréal, un fils né en 1766 et baptisé dans la religion catholique.

4. Ashby, William, est né le 29 novembre 1728 à Markill, près de Hull, dans le Yorkshire en Angleterre, fils de Robert et de Christiana Bell. Il arrive en Amérique en 1756 comme sergent dans le 27e régiment des troupes britanniques. En poste à Montréal de 1759 à 1761, à la Barbade en 1761 et à New York en 1763, il est de retour à Montréal en 1765. Il épouse, à Montréal, vers 1765, devant un aumônier militaire anglican, Marie-Ursule Berthiaume, née en 1745 à Montréal, fille de Jean-Baptiste Berthiaume et de Marie-Josèphe Lacasse. Ashby est présent à Montréal en mai 1766 lors d’une cession de droits par Pierre Berthiaume (ct Simonnet 21-05-1766). L’année suivante, le couple est à Chambly où Ashby est marchand et vendeur de boissons alcooliques. Son épouse décède à Chambly le 26 mars 1785. Ashby décède à Chambly en 1808, son inhumation n’a pas été trouvée. Famille établie à Chambly, dix enfants nés entre 1766 et 1784 baptisés dans la religion catholique.

9. Blackburn, Hugh (Augustin), est né le 21 mars 1746 à Tranent, East Lothian en Écosse, fils de Francis et d’Ann Ridell. Il arrive au Canada en 1759 comme soldat du 78e régiment Highlander dans les troupes britanniques. Il participe à la bataille des plaines d’Abraham en septembre 1759. Dès la Conquête, il est démobilisé et reprend son métier de menuisier. Il s’établit à la Malbaie où il œuvre pour John Nairmes, seigneur de Murray Bay. Blackburn se convertit au catholicisme puis, sous le prénom d’Augustin, épouse à Tadoussac vers 1776, Geneviève Gagnon, née vers 1747, fille de Jean Gagnon et d’une amérindienne Marie Cécile Korate-Pelletier. Cinq fils prendront des épouses et perpétueront le nom des Blackburn dans la région. Hugh Blackburn, qualifié de meunier, mais aussi trafiquant de fourrures, décède à La Malbaie le 11 janvier 1833 à l’âge de 87 ans. Sa femme Geneviève Gagnon décède à La Malbaie le 29 août 1835. Famille établie à La Malbaie, douze enfants nés entre 1782 et 1798 baptisés dans la religion catholique.

14. Bondfield, Acklam Rickaby, est né vers 1742 à Kingston Upon Hull, dans le Yorkshire en Angleterre, fils de John Taylor Bondfield et d’Anna Mary Hurst, mariés le 17 mars 1735 à Hornsea, Elloughton With Brough, dans le Yorkshire. Il arrive au Canada en 1761 avec ses parents et sa sœur Anna Maria. Marchand comme son père, il épouse à Québec, en mai 1762, devant un aumônier militaire anglican, Madeleine-Françoise Martel de Brouage, née à Québec en 1761, fille de François Martel de Brouage, capitaine dans les troupes de la Marine, et de Madeleine-Louise Moriauchau d’Esgly. Leur contrat de mariage est rédigé le 4 mai 1762 par le notaire Jean-Claude Panet. En 1766, Bondfield réside à Sillery. En 1775, il habite dans une maison de la rue Notre-Dame dans la basse ville de Québec. En 1776, partisan de l’Indépendance américaine, il quitte le Canada pour Philadelphie en Pennsylvanie où il décède le 25 avril 1777. Madeleine-Françoise Martel de Brouage décède à Québec le 24 septembre 1795 et est inhumée au cimetière catholique de Québec. Famille établie à Sainte-Foy, huit enfants nés entre 1764 et 1776 dont six baptisés dans la religion protestante et un dans la religion catholique.

25. Campbell, John, est né vers 1731 à Clachan of Glendaruel dans l’Argyllshire en Écosse. Officier dans les troupes britanniques, il participe à la guerre de Sept Ans en Amérique entre 1756 et 1760. Il est à Québec comme major du 78e régiment lorsqu’il remet une somme d’argent à Catherine Voyer en 1762 (ct Panet, 23-09-1762). Après un séjour à Cuba, il est de retour à Trois-Rivières comme officier dans le 27e régiment d’infanterie. Il épouse à Montréal, en 1763, devant un aumônier militaire anglican, Marie-Anne La Corne de Saint-Luc, née en 1744 à Montréal, fille de Luc La Corne de Saint-Luc, officier dans les troupes de la Marine, et de Marie-Anne Hervieux. Il est présent au baptême de sa fille Mary Ann à Montréal le 22 février 1764 et le 22 septembre 1765 lors de l’inhumation de sa fille Mary Ann. Agent des Affaires indiennes, Campbell décède à Montréal le 23 juin 1795 et est inhumé au cimetière protestant de la ville. Une notice nécrologique à son sujet est publiée dans la Gazette de Québec le 2 juillet 1795. Sa femme décède à Montréal le 8 mars 1813. Famille établie à Montréal, deux enfants nés entre 1764 et 1766 baptisés dans la religion protestante.

63. Flanagan, Michael (Michel), est né vers 1749 à Castleyons dans le comté de Cork en Irlande, fils de James, marchand, et de de Johanne Cotre décédée à Québec le 14 mars 1768. Il arrive au Canada en 1761 (ct Panet, 01-06-1763) avec ses parents et son frère Jean, né en Irlande en 1745 et décédé à Québec en août 1769 dans la maison de ses parents sur la rue Sault-au-Matelot dans la basse ville. Au décès de son père en mars 1769, Michel le remplace comme marchand. En 1773, il réside dans une maison de la rue Saint-Louis dans la haute ville de Québec. Michel Flanagan épouse, à l’église Notre-Dame de Québec le 17 mai 1774, Louise-Élisabeth Dumont née à Québec en 1751, fille de Jean-Baptiste et de Marie-Josèphe de Villedonné. Leur contrat de mariage est rédigé par le notaire Panet le 16 mai 1774. En 1780, il réside dans une maison de la rue de la Fabrique dans la haute ville de Québec. Michel Flanagan décède à Québec en 1781 car l’inventaire des biens de la communauté est dressé par le notaire Panet le 3 septembre 1781. Sa femme épouse en secondes noces Louis Turgeon le 8 février 1787. Elle décède à Québec le 8 janvier 1828. Famille établie à Québec, deux enfants nés en 1775 et 1777 et baptisés dans la religion catholique.

68. Forbes, Luc, est né vers 1738 à Desertmartin dans le comté de Derry en Irlande-du-Nord, fils de Robert et de Margareth Fontaine. Il arrive au Canada vers 1763 comme migrant puis on le retrouve à Saint-Joseph-de-Beauce en 1764. Il épouse, le 4 juin 1764 à Saint-Joseph-de-Beauce, Marie-Louise-Sophie Vachon dit Pomerleau née en 1743 à Beauport, fille de Noël et de Jeanne-Anne Bélanger. En 1769, il acquiert une terre à Saint-Joseph-de-la-Nouvelle-Beauce du seigneur Louis Fleury (ct Chevalier, 28-01-1769). À la suite du décès de son épouse le 31 mars 1773, il épouse en secondes noces, le 11 août 1773 à Sainte-Marie-de-Beauce, Marie-Anne Gosselin, née en 1749 à Montmagny fille de Jean-Baptiste et de Marie-Anne Gaboury. Forbes et son épouse décèdent entre 1782 et 1785, leurs inhumations n’ont pas été trouvées. Famille établie à Saint-Joseph-de-Beauce, quatre enfants nés de son premier mariage entre 1664 et 1669 et sept nés de son second mariage entre 1774 et 1782 baptisés dans la religion catholique.

77. Fraser, John (Jean), est né vers 1728 à Bulliskine en Écosse fils de John et d’Ann McDonald. Il arrive au Canada avant 1775 probablement comme soldat dans les troupes britanniques lors de la guerre d’Indépendance américaine. Il épouse, le 22 mai 1775 à Sainte-Anne-de-la-Pérade, Marguerite Vallée née en 1755 à Sainte-Anne-de-la-Pérade fille de Jacques et de Marguerite Tessier. Le notaire Charles Levrard a rédigé leur contrat de mariage le 20 mai 1775. Fraser, agriculteur, décède à Sainte-Anne-de-la-Pérade le 13 décembre 1806. Sa femme épouse en secondes noces Augustin Brisson en 1808. Elle décède à Saint-Pierre-les-Becquet le 18 avril 1833. Famille établie à Sainte-Anne-de-la-Pérade, dix enfants nés entre 1776 et 1798 baptisés dans la religion catholique.

Marcel Fournier
Mai 2021


1 Fournier, Marcel, Les Européens au Canada des origines à 1765 (Hors France), Montréal, Éditions du Fleuve, 1989, 352 pages.

2 Parchemin, base de données notariales du Québec sous la direction de Normand Robert et Hélène Lafortune. Entre le 19 octobre 1760 et le 10 février 1763, les actes notariés contractés par des Anglais concernent uniquement des locations de maisons. Ce n’est qu’à partir de 1763 que l’on trouve des ventes de propriétés dont plusieurs seigneuries appartenant à des Français et à des Canadiens.