Louis-Philibert-Gabriel Le Prévost, marquis du Barail
Un colonel de l’armée française réfugié au Canada en 1795
Les émigrés de la Révolution française
Entre 1789 et 1804, environ 140 000 Français ont quitté leur territoire national en raison des troubles révolutionnaires pour se réfugier dans d’autres pays européens et en Amérique. Si quelque 25 000 Français ont émigré aux États-Unis au cours de cette période, seulement 140 se sont réfugiés au Canada, malgré la réticence des autorités coloniales à accueillir ces royalistes au pays. En petit nombre au début, ils deviendront plus nombreux à fuir les années de la Terreur. Parmi ces migrants, on trouve une cinquantaine de prêtres réfractaires venus au pays en opposition à la constitution civile du clergé en France. Outre les religieux, 62 civils se sont réfugiés dans la province du Bas-Canada, le Québec actuel, et dans la région de l’Atlantique.
Parmi ces émigrés, on trouve peu d’individus issus de la noblesse française. Le marquis du Barail est celui qui détient le plus haut rang de noblesse parmi les réfugiés français. Dans de ce texte, on pourra suivre son parcours mouvementé depuis la France vers le Canada en passant par les Antilles.
Le marquis du Barail
Louis-Philibert-Gabriel Le Prévost, marquis du Barail, est né le 2 novembre 1750 et baptisé le même jour à l’église Saint-Paul-Saint-Louis, ville de Paris, de l’union de Louis-Jacques-Charles Le Prévost du Barail, vicomte de Villers-Hélon (1708-1773), maréchal de camp des armées du roi, et d’Adélaïde-Henriette-Philiberte Orry de Fulvy (1730-1816) . Ses parents obtiennent la permission de se marier à Paris le 21 octobre 1749. Le mariage a lieu le 26 octobre 1749 dans la chapelle du château de La Chapelle-Godefroy, diocèse de Troyes, en Champagne . Son père avait épousé en premières noces Marie-Geneviève Legras de Beaulieu, décédée le 6 février 1748 à Villers-Hélon, dans l’actuel département de l’Aisne.
Louis-Philibert-Gabriel Le Prévost épouse, le 23 mai 1775 à l’église Notre-Dame-de-l’Assomption de Le Quesnoy [département du Nord], dans l’ancienne province de la Flandre, Marie-Isabelle-Victoire de Garnier de Ricard, née vers 1754, fille d’Ange-Victor de Garnier de Ricard, sieur de Soron, ancien commandant du régiment royal des vaisseaux d’infanterie du roi, et de Jeanne-Thérèse Lelong. Leur contrat de mariage est rédigé par le notaire Denys Renversé de Valenciennes le 20 mai 1775. Le contrat fait mention des apports des époux en argent et en propriétés.
Le 16 octobre 1780, le marquis du Barail et son épouse procèdent à la vente de la seigneurie de Villers-Hélon [département du Nord], à Antoine Lepelletier de Liancourt. Le 1er septembre 1793, le couple du Barail / de Garnier divorce à Château-Thierry [département de l’Aisne] en Champagne . Peu de temps après, Marie-Isabelle-Victoire de Garnier épouse, le 25 septembre 1794 à Rozet-Saint-Albin [département de l’Aisne], Joseph-Louis Pâris de Treffonds. Cette union sera de courte durée, car les époux se séparent le 18 janvier 1798. À la suite de cette séparation, on ne connaît pas la destinée de Marie-Isabelle-Victoire de Garnier qui décède probablement en exil avant 1802.
Une longue carrière militaire
Né d’une famille noble d’épée du nord de la France, Louis-Philibert-Gabriel entreprend une carrière militaire dans l’armée royale le 10 avril 1765 à l’école d’artillerie de La Fère. Il est promu sous-lieutenant en 1767, capitaine dans le Royal-Pologne le 25 avril 1772, capitaine au corps de cavalerie le 28 avril 1778, colonel d’infanterie aux colonies le 11 octobre 1781. Il est promu lieutenant-colonel du régiment de l’Île de France le 14 janvier 1784, puis de la Guadeloupe le 8 février 1786. Après deux années passées dans les Antilles, il rentre en France en 1788. Il reçoit les insignes de chevalier de l’Ordre militaire de Saint-Louis le 19 février 1790, et la même année, il reprend du service et rejoint son régiment en Guadeloupe. En 1793, il est nommé maréchal de camp des armées du roi et commande le corps des volontaires royalistes qui, soutenus par les gros planteurs esclavagistes, appuient les Britanniques dans leur conquête des Antilles françaises. Il participe à la prise de la Martinique, dont les troupes françaises républicaines capitulent le 23 mars 1794, puis à l’invasion de la Guadeloupe par les Anglais le 20 avril suivant. Il combat ensuite le corps d’armée de 1 000 soldats français républicains, le 2 juin 1794, quand il arrive en Guadeloupe pour chasser ces intrus avec l’aide de 3 000 esclaves noirs guadeloupéens. Après la capitulation des Britanniques le 6 octobre 1794, il se réfugie auprès d’eux à Saint-Christophe, fuyant la Guadeloupe. Réfugié ensuite à la Dominique, il commande un corps d’émigrés royalistes, par suite d’une commission que lui a accordée le gouverneur Hamilton le 22 avril 1795. Vers la même époque, le marquis du Barail demande l’autorisation d’émigrer au Canada avec sa famille et quatre autres émigrés des Antilles françaises. Le 3 mai 1795, le gouverneur Hamilton de la Dominique écrit à Lord Dorchester, gouverneur du Bas-Canada, lui demandant de recevoir le marquis au Canada avec tous les égards dus à son rang.
Le marquis du Barail au Canada
Le marquis du Barail arrive à Québec le 10 juillet 1795 à bord du navire le Susan Craigie avec sa compagne Marie-Louise Michel, avec laquelle il n’est pas encore marié, et deux serviteurs noirs. Le Prévost du Barail est alors muni d’un passeport établi par le gouverneur britannique de la Dominique à l’intention du gouverneur du Bas-Canada. Il arrive à Québec avec quatre autres émigrés royalistes : Jean-Jacques Ferdasne de Lépine, maître de poste en Guadeloupe, Georges Rolland, maître sucrier de la Dominique, Louis Mascou, planteur de la Martinique et Marie-Louise Beloue, une veuve également originaire de la Guadeloupe. Autorisé à séjourner au pays, Le Prévost du Barail réside à Trois-Rivières où naîtra un fils naturel, Jean-Baptiste, le 7 août 1795. Au début des années 1800, il s’établit à Montréal où naîtra un autre fils naturel, Alexandre-Jacques, le 27 décembre 1803.
Son mariage avec Marie-Louise Michel
Le 3 janvier 1803, le marquis du Barail épouse à la Christ Church de Montréal, Marie-Louise Michel . Comme il s’agit d’un acte protestant, les noms des parents des époux ne sont pas mentionnés et l’acte comprend peu de détails sur les futurs époux. Le 25 juillet 1805, il épouse de nouveau à l’église Notre-Dame de Montréal sa compagne Marie-Louise Michel. L’acte de mariage ne fait aucune mention d’un mariage précédent dans la religion protestante. Lors du mariage, les époux reconnaissent la légitimité de leurs deux enfants nés au Canada .
Ce mariage paraît avoir été assez secret pour un homme de son rang. Outre les trois prêtres ayant célébré le mariage, l’acte ne mentionne pas la présence d’autres personnalités montréalaises à la cérémonie qui semble assez sobre, bien qu’en plus de son titre, le rédacteur indique qu’il est un ancien colonel de l’armée française et chevalier de l’Ordre de Saint-Louis. Du côté civil, on ne trouve pas de contrat de mariage dans les archives canadiennes.
Sa compagne et future épouse
Marie-Louise Michel est née en mars et baptisée le 3 avril 1766 à l’église Notre-Dame-de-l’Assomption de Trois-Rivières, en Guadeloupe, fille de Jean-Urbain Michel et de Marie-Anne Fidelin. Ses parents se sont mariés le 8 janvier 1753 à Trois-Rivières en Guadeloupe. Marie-Louise Michel épouse, le 31 juillet 1787 à Basse-Terre, Joseph-Félix Toubland de Bellevue, un planteur de la Guadeloupe, fils de Pierre Toubland et de Marie-Anne Guerbeau. Il décède à Basse-Terre le 23 janvier 1790 sans laisser de descendance. Après le décès de son époux, Marie-Louise Michel devient la compagne du marquis du Barail, officier militaire en poste à la Guadeloupe. Elle l’accompagne au Canada et aux États-Unis jusqu’à leur retour en France en 1816. Marie-Louise Michel décède à Paris le 27 mars 1824 et est inhumée le lendemain dans le cimetière du Père Lachaise. Les ancêtres de Marie-Louise Michel sont originaires de Saint-Hilaire-des-Loges, en Vendée.
Le séjour montréalais
Lors de leur séjour à Montréal, on ne sait pas où résident le marquis du Barail et sa famille. Les archives canadiennes demeurent muettes à ce propos ainsi que sur ses moyens de subsistance. En raison de son rang, il a certainement fréquenté la haute société montréalaise du début du 19e siècle. Le 11 mars 1805, il se présente chez le notaire Jean-Marie Mondelet pour signer une procuration en faveur de monsieur de Bussy, résidant en la maison des poudres et salpêtres de l’Arsenal de Paris, le désignant comme administrateur de ses biens en France.
Séjour aux États-Unis
Vers 1806, la famille Le Prévost du Barail quitte le Canada pour s’établir à Albany, dans l’État de New York, où naîtra leur fille Henriette-Charlotte, le 4 octobre 1807. La famille du Barail est présente dans la ville d’Albany, État de New York, lors du recensement américain de 1810. Le marquis du Barail et sa famille résident dans cette ville pendant quatre ans.
Retour en France
En novembre 1814, après l’abdication de Napoléon Bonaparte le 6 avril précédent, le marquis du Barail et sa famille décident de rentrer en France. Mais, le retour subit de l’Empereur pendant les Cent-Jours, l’oblige à se réfugier de nouveau en Angleterre avec sa famille en 1815. Il ne retournera en France qu’en 1816, au début de la Restauration. En avril 1816, le marquis du Barail est nommé grand prévôt du département du Lot-et-Garonne, fonction qu’il occupera jusqu’en 1818. Le 10 janvier 1821, Louis XVIII le nomme lieutenant-général des armées royales, probablement un titre honorifique vu son âge avancé. Louis-Philibert-Gabriel Le Prévost du Barail décède le 11 février 1822 à l’âge de 71 ans à la maison de retraite Sainte-Périne de Chaillot à Paris, aujourd’hui Hôpital Sainte-Perrine, situé dans le 16e arrondissement de Paris.
Les enfants du Marquis du Barail
De son mariage avec Marie-Isabelle-Victoire de Garnier sont nées :
1. Antoinette-Marie-Victoire (Reine-Victoire), baptisée le 17 novembre 1776 à Villers-Hélon, Aisne. Elle épouse son oncle, René-Philippe-Toussaint de Garnier le 2 juillet 1806 en France. Elle est décédée le 22 octobre 1816 au 20, rue de la place Vendôme, à Paris.
2. Aglaé-Adélaïde-Joséphine (Adélaïde-Joséphine-Henriette), née 17 juillet 1778 et baptisée le lendemain à Villers-Hélon, Aisne. Elle est décédée célibataire le 3 juin 1831 à Orgeval, Yvelines.
3. Marie-Gabrielle-Sophie née et baptisée le 22 juillet 1780 à Villers-Hélon, Aisne. On ne connaît pas sa destinée.
De son union et de son mariage avec Marie-Louise Michel sont nés :
4. Jean-Baptiste, vicomte du Barail, né à Trois-Rivières, Canada, le 7 août 1795, capitaine des grenadiers de la Guyane, marié à Marie-Anne-Cécile Mille le 6 octobre 1824 à Cayenne, en Guyane. Il est décédé le 8 décembre 1843 à Fort-de-France, en Martinique. Cinq enfants, nés et décédés célibataires en Guyane.
5. Alexandre-Jacques, chevalier du Barail, né le 27 décembre 1803 à Montréal, Canada, élève à l’école militaire de Saint-Cyr après 1816. Il épouse, le 11 juillet 1831 à Orgeval, département des Yvelines, Philiberte-Louise-Clair de Garnier, née à Soisson, Aisne, le 20 juillet 1807. Il est décédé le 25 août 1873 à Bussac, en Dordogne, sans descendance, leur fils Paul-Jacques né en 1833 à Orgeval, Yvelines, étant décédé à Poissy, Yvelines, le 5 février 1834.
6. Henriette-Charlotte, née le 4 octobre 1807 à Albany, État de New York, États-Unis, élève de la maison royale de Saint-Denis après 1816, décédée le 6 mai 1822 à Saint-Denis, Seine-Saint-Denis.
Le marquis du Barail n’a laissé aucune de descendance au Canada, ni en France, ni dans les Antilles.En 2022, les membres de la famille du Barail, vivant aujourd’hui en France, descendent d’une lignée collatérale du marquis et se retrouvent principalement dans la région parisienne.
Conclusion
Louis-Philibert-Gabriel Le Prévost, marquis du Barail, un ancien colonel de l’armée royale française, a résidé durant une dizaine d’années au Bas-Canada et s’est marié à Montréal en 1805 avec Marie-Louise Michel, sa compagne originaire de la Guadeloupe. La présence d’un marquis d’origine française au Canada à cette époque n’était pas fréquente. Il est probablement le seul migrant français de ce rang à avoir vécu à Montréal après la Conquête britannique de 1760. Nos recherches dans les archives françaises, antillaises, canadiennes et américaines ont permis d’en connaître davantage sur les pérégrinations ce personnage des 18e et 19e siècles qui a vécu dans plusieurs pays.
Marcel Fournier, AIG
Longueuil (Québec), le 8 novembre 2021
marcel.fournier@sympatico.ca
Cet article a été publié dans la revue Généalogie Magazine, Paris, janvier-février 2022, p. 50-57