L’état civil québécois a 400 ans le 24 octobre 2021

 

Marcel Fournier, AIG

Historien et généalogiste

 

Le 24 octobre 2021 marque le 400e anniversaire de l’instauration de l’état civil en Nouvelle-France. En effet, à cette date précise, le père Joseph Denis, curé récollet de la paroisse Notre-Dame de Québec, a baptisé Eustache Martin, fils de Marguerite Langlois et d’Abraham Martin dit l’Écossais [d’où le nom des Plaines d’Abraham à Québec]. Depuis le 17e siècle, l’enregistrement des actes est alors confié à l’autorité ecclésiastique qui applique les ordonnances royales comme la tenue en double des registres – l’un étant conservé par la paroisse, l’autres étant déposé au greffe de la Prévôté.

 

À compter de 1703, la rédaction des actes par les curés des paroisses canadiennes est faite selon les règles prescrites par le Rituel du diocèse de Québec. Lors de la cession de la Nouvelle-France à l’Angleterre par le Traité de Paris en 1763, les registres paroissiaux demeurent dans la colonie et les autorités coloniales maintiennent les anciennes lois françaises relatives à l’enregistrement des actes. En 1774, l’Acte de Québec confirme la responsabilité du clergé en ce qui concerne la tenue des registres paroissiaux qu’ils soient catholiques ou protestants.

 

En 1760, les registres anglo-protestants ont été introduits au pays à la suite de la Conquête britannique. Les mariages protestants sont célébrés conformément au Mariage Act, une loi britannique de 1754. Le premier registre est celui de l’Anglican Garrison Church de Montréal qui couvre la période de 1760 à 1764. Entre 1760 et 1770, des paroisses protestantes sont ouvertes à Montréal, Québec, Trois-Rivières et Sorel.

 

En 1795, une loi du Parlement du Bas-Canada confirme l’application des ordonnances françaises tout en les adaptant à la nouvelle situation du pays. Au cours des deux siècles suivants, très peu de modifications sont apportées à l’enregistrement des actes si ce n’est quelques ajustements mineurs découlant de l’adoption d’un nouveau Code civil en 1866. Il faut attendre une centaine d’années avant que des changements majeurs soient apportés à l’état civil québécois par l’introduction du mariage civil qui, depuis 1968, peut être célébré dans les palais de justice ou autre lieux autorisés. Le nombre de différentes confessionnalités, et par conséquent, le nombre de célébrant.es autorisés.es à enregistrer les actes étant devenus très élevés – 5 417 registres ont été déposés pour l’année 1989 seulement – l’adoption d’un nouveau code civil, en 1991, confirme la prérogative de l’État en matière d’enregistrement des actes concernant les registres d’état civil des personnes.

 

En 1994, le gouvernement met en place un état civil moderne, crée le poste de Directeur de l’état civil et dote le Québec d’un registre unique non confessionnel. La nouvelle réglementation retire aux Églises l’enregistrement légal des actes de naissance, mariage et décès, ceux-ci relevant maintenant de l’État. Bien que la nouvelle réglementation soit d’ordre civil, les prêtres et les ministres desservant les diverses confessionnalités sont toujours considérés comme des officiers de l’état civil pour la célébration des mariages religieux même si la plupart des unions sont contractées devant un officier civil agréé par le Directeur de l’état civil.      

 

Entre 1621 et 1800, les curés des 159 paroisses catholiques du Québec ont enregistré 690 000 actes qui constituaient l’état civil officiel. Il faut ajouter à ces données quelques milliers d’actes des paroisses protestantes ouvertes au culte à compter de 1766. Entre 1800 et 1900, sept millions d’actes ont été rédigés par rapport à plus de dix-sept millions pour la période de 1901 à 2000. Les archives québécoises détiennent aujourd’hui près de 25 millions d’actes concernant les Québécois et les Québécoises depuis quatre siècles. 

 

L’état civil constitue une source d’information essentielle à toute recherche généalogique, historique et démographique. La continuité et la qualité des registres paroissiaux québécois sont uniques dans le monde. Les actes de baptême, mariage et sépulture rédigés par les autorités ecclésiastiques depuis le début de la Nouvelle-France ont traversé le temps sans trop de lacunes. Il en est de même pour la période qui s’étend de 1763 jusqu’au milieu des années 1990.

 

Jusqu’en 1994, les actes paroissiaux étaient librement accessibles aux chercheurs mais ils ont été fermés à la consultation avec l’avènement des nouvelles dispositions sur l’état civil. Cette situation rend plus difficile la recherche généalogique et prive les Québécois et les Québécoises d’une partie importante de leur mémoire collective. Les généalogistes, dont je suis, comprennent bien que la protection des renseignements personnels est une priorité de la vie moderne mais nos instances administratives ne devraient-elles pas trouver des compromis pour que la recherche en histoire de familles puisse se perpétuer afin que les générations actuelles et futures aient l’opportunité d’apprendre d’où nous venons pour savoir où nous allons selon une expression consacrée.

 

Dernièrement, la Fédération québécoise des sociétés de généalogie et le Directeur de l’état civil du Québec ont tenu des rencontres exploratoires permettant une certaine ouverture quant à la consultation des actes de décès entre 1994 et 2021. Il est à souhaiter que ces discussions permettent la diffusion de certaines informations généalogiques tout en respectant la vie privée des Québécoises et des Québécois. L’état civil québécois demeure une richesse collective essentielle permettant de reconstituer l’histoire des familles québécoises à travers l’espace et le temps.

 

Longueuil, le 23 octobre 2021  

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