De toutes les questions qui sont posées par les généalogistes au sujet de leurs ancêtres, celle qui concerne leur venue au Canada fait l’objet d’une grande curiosité. La question est donc classique : Sur quel navire mon ancêtre est-il arrivé au Canada et en quelle année ? À la lumière des sources anciennes et des informations nouvelles diffusées depuis quelques années dans Internet, nous allons tenter d’apporter quelques éléments de réponse à ces deux questions.
Les recherches concernant l’immigration française en Nouvelle-France mènent indéniablement les chercheurs à deux sources documentaires : les contrats d’engagement et les listes de passagers. Ces documents d’archives d’origine française font l’objet de publications au Québec depuis les années cinquante. Bien que considérés comme des documents connexes et souvent publiés ensemble, ils sont de nature bien différente dans les faits.
Les engagés de la Nouvelle-France
Depuis le début des années 1630, l’engagement constituait le principal mode de recrutement des pionniers de la Nouvelle-France. Les compagnies marchandes qui détenaient le monopole du commerce des fourrures avaient l’obligation et la responsabilité de faire passer un certain nombre de colons au Canada. Les règles ont été plus ou moins respectées et l’effort colonisateur des compagnies fut nettement insuffisant. On estime à 5200 le nombre d’engagés passés au Canada sous le Régime français, surtout au 17e siècle. De ce nombre, seulement 900 ont décidé de s’établir au pays au terme d’un engagement dont la durée pouvait varier entre 3 et 6 ans. On observe deux périodes majeures d’engagement pour la Nouvelle-France soit de 1640 à 1669 et de 1710 à 1749.
L’engagé est un homme de moins de 26 ans, en bonne santé, et qui accepte par contrat de servir un employeur au Canada pour une période qui est généralement de 36 mois. Son engagement en France comprend le passage aller-retour sur des navires marchands, un salaire d’environ 75 livres par année, une avance d’une année de salaire et un montant pour l’habillement. Une fois au pays, il a l’obligation de servir ses maîtres et doit se soumettre à plusieurs restrictions dont le droit d’acquérir des biens, de se marier, de faire du commerce, etc. Au terme de son contrat, l’engagé peut retourner en France au frais de son engasgeur ou s’établir dans la colonie. Il peut désormais devenir propriétaire, se marier et fonder une famille.
Comme les contrats d’engagement sont des actes notariés ils sont mieux conservés. Ils contiennent généralement le nom de l’employeur, celui de l’engagé, l’origine, l’âge, la période d’engagement et ses émoluments. Les contrats dépouillés à La Rochelle, Bordeaux et Saint-Nazaire ont fait l’objet d’études dont celles de Gabriel Debien et de Marcel Delafosse dans la Revue d’histoire de l’Amérique française entre 1952 et 1980. Les listes nominatives des engagés, souvent mêlées aux listes de passagers ont été reprises dans les volumes 6 et 47 des Répertoires des actes de baptême, mariage, sépulture et des recensements du Québec ancien publiés en 1980 et en 1990 aux Presses de l’Université de Montréal. Ces listes, qui comptent 4 740 migrants, sont aussi disponibles sous la cote « L » dans la base de données du PRDH. Il faut aussi consulter l’ouvrage Des engagés en Nouvelle-France de Jean-Pierre Turcotte qui reprend les données de Debien et Delafosse et qui propose les noms de 1700 engagés. Le blog de l’archiviste Guy Peron https://lebloguedeguyperron.wordpress.com/ permet de consulter de nombreux contrats d’engagement et de listes de passagers tirés de l’Amirauté de La Rochelle. Enfin, il faut signaler que les contrats d’engagement n’ont pas tous été publiés, plusieurs sont encore enfouis dans les minutiers des notaires français du 17e siècle dont ceux de La Rochelle et de Paris.
Les engagés, tant et aussi longtemps qu’ils sont liés à l’employeur, n’ont aucun droit et demeurent soumis à leur maître jusqu’au terme de leur engagement. Lorsque des conflits éclatent entre engagés et employeurs, des procès sont instruits auprès de la Prévôté de Québec qui rend des sentences en faveur de l’une ou l’autre des parties en cause. On aura donc intérêt à consulter les transcriptions des registres civils de la Prévôté de Québec réalisées par Guy Perron pour les années 1666 à 1686 et publiées par Jean-Pierre Pepin.
Les listes de passagers
Les listes de passagers conservées dans les documents de l’Amirauté française contiennent des informations concernant les noms des passagers, l’âge, l’origine ainsi que le port d’embarquement et de débarquement. Ces listes devaient être remises aux autorités portuaires par le capitaine de navire avant le départ pour l’Amérique. Ces pièces originales sont également conservées aux archives départementales françaises. Quant, aux listes de débarquement, comme les archives de l’Amirauté de Québec ont été détruites par un incendie, on ne peut trouver des documents concernant l’arrivée des passagers à Québec au 17e et au 18e siècles.
Les quelques listes de passagers qui ont subsisté sont rarissimes pour les 17e et 18e siècles. Nous en avons retracé seulement onze. Neuf d’entre elles ont été publiées dans les répertoires du Programme de recherche en démographie historique (PRDH) tandis que celles du Saint-Jean-Baptiste et du Moulin-d’Or, découvertes récemment, ont été diffusées dans le volume 48 des Mémoires de la Société généalogique canadienne-française publié à l’automne 1997. On peut aussi consulter l’ouvrage Les transporteurs de nos ancêtres 1608-1760 de Viateur Boulet. Dans Internet, le site Migrations est le plus complet que l’on puisse trouver à propos des passagers en provenance de France.
Pour la période de la Nouvelle-France, deux ouvrages permettent également aux chercheurs d’étayer leurs recherches. Il s’agit de la série Passengers and Immigration Lists Index éditée à Détroit par P. William Filby et Négociants et navires de commerce avec le Canada de 1660 à 1760 de John Francis Bosher. Jusqu’à ce que d’autres listes de passagers ou d’autres contrats d’engagement soient découverts, celles que nous venons de mentionner sont les seules connues à nos jours. Le tableau ci-joint présente les listes connues sous le Régime français.
À ces neuf listes, il faut en ajouter quelques autres comme celles des soldats du régiment de Carignan-Salières qui se sont embarqués à La Rochelle au printemps de 1665, les passagers embarqués à Bordeaux entre 1714 et 1783, les faux sauniers envoyés en Nouvelle-France entre 1730 et 1743 et les soldats des troupes de Terre qui ont combattu en Nouvelle-France lors de la guerre de Sept Ans. Toutes ces listes ont déjà fait l’objet de publications.
Liste de passagers sous le Régime britannique
Concernant le Régime anglais, de 1763 à la Confédération canadienne de 1867, on ne retrouve que quelques listes éparses produites entre 1817 et 1831. Ces listes manuscrites n’ont pas fait l’objet de publication, mais elles peuvent être consultées aux Archives nationales du Québec sous la cote ANC-4252. On peut consulter le site Internet du Centre canadien de généalogie pour plus de renseignements. L’ouvrage Les Français au Québec 1765-1865 est aussi utile pour identifier les migrants venus au Canada au cours du siècle qui a suivi la conquête de la Nouvelle-France.
Les listes de passagers vers le Canada après 1865
À partir de 1865, les autorités coloniales exigent des capitaines de navires qu’ils déposent les listes de passagers à leur arrivée dans les ports d’Halifax et de Québec. Ces listes détaillées (1865-1922 pour le port de Québec) contiennent plusieurs informations relatives aux passagers, telles que le nom, l’origine, l’âge, le métier, le lieu présumé d’établissement ainsi que le port d’embarquement et de débarquement. Le site du Centre canadien de généalogie propose une base de données des migrants européens arrivés par le port de Québec entre 1865 et 1922. Enfin, il y a aussi le site Internet d’Ellis Island à New York qui indique l’année d’arrivée des migrants européens entre 1892 et 1924 dont plusieurs sont venus au Canada via ce port.
Il existe également un index des noms des passagers pour la période de 1865 à 1869. Ces listes sur microfilm sont classées par port et par date d’arrivée. Elles sont conservées aux Archives nationales du Canada. Pour plus de détails concernant ces listes, on peut consulter l’article de Shella Powell publié dans la revue l’Archiviste, vol. 17, nº 4, juillet-août 1991.
Quelques autres sources
Les journaux du Québec ancien constituent aussi une source non négligeable concernant les arrivées de navires en provenance des ports européens. Certains journaux, comme la Gazette de Québec, mentionnent quelquefois les noms des passagers dans les rubriques relatant l’arrivée de vaisseaux en provenance des vieux pays. Pour faciliter la recherche dans la Gazette de Québec, BAnQ met à la disposition des chercheurs un index sur microfilm des noms cités dans ce journal entre 1764 et 1825.
Les recensements de 1842 du Bas-Canada et de 1901 du Canada indiquent l’année d’arrivée et l’origine des immigrants en regard de leur nom. Le recensement de 1901 est disponible dans le site Internet Automated genealogy.
Conclusion
Jusqu’à ce que d’autres listes de passagers ou d’autres contrats d’engagement soient découverts dans les archives françaises et britanniques, celles dont nous avons fait mention dans cette conférence sont les seules connues à nos jours.
Marcel Fournier, AIG
Historien et généalogiste
Contrats d’engagement et listes des passagers
Quelques livres et articles
- Marcel Trudel, Catalogue des immigrants 1632-1662, Montréal, Hurtibise HMH, 1983, 569 p.
- Carpin, Gervais, Le réseau Canada, Sillery, Septentrion, 2001, 552 p.
- Debien, Gabriel et Delafausse, Marcel, Revue d’histoire de l’Amérique française, Montréal, 1952-1980
- Charbonneau Hubert et Légaré Jacques, Répertoire des Actes de baptême, mariage, sépulture et recensements du Québec ancien, Montréal, Presse de l’Université de Montréal, 1980-1990, vol. 6 et 47
- Turcotte, Jean-Pierre, Des engagés en Nouvelle-France : liste alphabétique des engagés pour la Nouvelle-France, Thetford Mines, l’auteur, 198 p.
- Boulet, Viateur, Les transporteurs de nos ancêtres, Laval, l’auteur, 1998, 104 p.
- Bosher, John-Francis, Négociants et navires de commerce avec le Canada de 1660 à 1760, Ottawa, Lieux historiques nationaux, 1992, 263 p.
- Larin, Robert, Les passagers à Dieppe, Québec, Revue L’Ancêtre, 1999, vol. 25, no 5.
- Perron, Guy, Les engagés levés par François Perron pour le Canada (1655-1659), Québec, Revue L’Ancêtre 1991-1994.
- Giraud, S, Des vendéens engagés pour le Canada au 18e siècle, Québec, Revue L’Ancêtre, 1988, vol 15, no 4 et 1991, vol 17, no 6.
- Faribault-Beauregard, Marthe, Passeports pour les passagers embarqués à Bordeaux de 1714 à 1783, Montréal, Mémoires de la SGCF, 1985, vol. 36 et 1986. vol. 37.
Quelques sites Internet
Listes de migrants
- http://www.genealogie.umontreal.ca/fr/
- http://search.ancestry.ca/search/
- http://www.erudit.org/recherche/
- https://lebloguedeguyperron.wordpress.com/
Listes de passagers
- http://www.migrations.fr/naviresancetres.htm
- http://naviresnouvellefrance.com/
- http://racinesrochelaises.free.fr/
- http://www.ancestorsonboard.com/
- http://www.ellisisland.org/
- http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/passagers-quebec-1865-1900/index-f.html
- http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/passagers/001045-100.01-f.php